Argent public, responsabilité publique : comment la conditionnalité façonne l’agriculture européenne
Le débat sur la manière dont l’Europe soutient ses agriculteurs est au cœur de notre sécurité alimentaire et de la santé de notre environnement. Au centre de la Politique Agricole Commune (PAC) se trouve un mécanisme appelé conditionnalité. Cela peut sembler un terme technique, mais il est en réalité simple: il s’agit de l’ensemble des règles que les agriculteurs doivent respecter pour percevoir les paiements de la PAC. Ces règles lient le soutien public à une agriculture responsable, garantissant la protection du bien-être animal, de la santé publique et de l’environnement. En d’autres termes : l’argent public implique des responsabilités publiques.
La conditionnalité constitue le lien essentiel entre les milliards d’euros de fonds publics soutenant l’agriculture et l’exigence que les agriculteurs respectent certaines normes bénéfiques pour l’ensemble de la société. Pourtant, pour de nombreux agriculteurs, et en particulier les plus petits, ces règles sont perçues comme un fardeau administratif qui complique et alourdit leur travail quotidien.
Réduire cette charge administrative figure justement parmi les objectifs de la PAC 2023-2027, et c’est l’objectif principal de l’accord politique provisoire conclu le 10 novembre entre le Parlement européen et le Conseil: réduire la charge administrative, simplifier les systèmes de paiement et renforcer la compétitivité des agriculteurs grâce au paquet de simplification de la PAC.
Comment fonctionne la conditionnalité de la PAC?
Lorsqu’un agriculteur bénéficie du soutien de la PAC, il s’engage à respecter deux ensembles de règles. Le premier, appelé Exigences Réglementaires en Matière de Gestion (ERMG), s’applique à tous les agriculteurs, qu’ils reçoivent ou non des paiements de la PAC. Ces règles proviennent de la législation européenne sur des sujets tels que le bien-être animal, la santé des plantes et des animaux et la protection de l’environnement.
Le second type, appelé Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE), ne s’applique qu’aux bénéficiaires des aides PAC. L’accent est ici mis sur la gestion durable des terres : protéger la structure des sols, prévenir l’érosion, maintenir la qualité de l’eau et préserver les éléments paysagers naturels. En respectant ces normes, les agriculteurs contribuent à la durabilité et à la résilience à long terme des terres agricoles européennes.
Que se passe-t-il en cas de non-respect ? La conditionnalité n’est pas optionnelle. Si un agriculteur ne respecte pas les ERMG ou BCAE, ses paiements PAC peuvent être réduits. La pénalité de la sanction dépend de la gravité ou de la répétition de l’infraction, par exemple, un manquement volontaire entraîne une réduction beaucoup plus importante. Ces pénalités ne concernent pas seulement les paiements directs: elles peuvent également affecter le financement du développement rural ou des aides sectorielles spécifiques, comme les subventions viticoles.
L’évolution de la conditionnalité
Avec la PAC 2023–2027, la conditionnalité a été modernisée pour rendre les règles plus flexibles et plus faciles à suivre, tout en conservant une forte ambition environnementale. Les pratiques clés de verdissement, protection des sols, bandes tampons le long des cours d’eau, rotation des cultures et préservation des éléments paysagers, sont désormais pleinement intégrées dans le cadre de la conditionnalité.
L’expérience des deux premières années de cette nouvelle période de la PAC a montré que les agriculteurs avaient besoin de plus de souplesse. Les contrôles ont donc été réduits, et les exploitations de moins de 10 hectares sont désormais exonérées de contrôles et de sanctions, simplifiant la vie des petites exploitations. Plusieurs normes GAEC ont également été adaptées.
Les règles sur la couverture du sol peuvent maintenant être définies plus flexiblement, la diversification des cultures peut remplacer les rotations strictes, et les éléments paysagers non productifs sont passés de mesures obligatoires à mesures volontaires, soutenues par les écorégimes. De plus, les États membres peuvent temporairement adapter les règles en cas d’événements climatiques extrêmes et modifier leurs Plans Stratégiques PAC deux fois par an, leur laissant plus de marge de manœuvre pour répondre aux conditions agricoles et climatiques changeantes.
Pourquoi la conditionnalité est importante
La conditionnalité est essentielle car elle garantit que l’argent public produit une valeur publique réelle. La PAC étant financée par les contribuables, ces derniers sont en droit d’attendre un retour concret : eau plus propre, sols plus sains, biodiversité enrichie, et un système agricole respectueux de l’environnement.
La conditionnalité permet de garantir ces résultats en faisant en sorte que l’agriculture contribue non seulement à la production alimentaire, mais aussi à des objectifs environnementaux et sociaux plus larges. Elle favorise également la confiance : en montrant que les subventions s’accompagnent de responsabilités partagées, la conditionnalité transforme les paiements PAC, de simples aides financières, en un partenariat entre agriculteurs, contribuables et environnement.